A partir de 1530, la France se dote d’un style décoratif original grâce à l’action de François Ier. Il fit appel à de jeunes artistes italiens qui inventèrent un nouveau vocabulaire diffusé par l’estampe. Ils constituèrent la première Ecole de Fontainebleau. Le Rosso (1495-1540) et Primatice (1504-1570) arrivent successivement en 1530 et 1532 sous l’impulsion de François Ier, alors que Nicolo dell’Abate (1504-1570) arrivent en 1552 sous Henri II. Si ces italiens jouent les principaux rôles, l’équipe est internationale car constituée aussi de Français et de « Nordiques ».
Les caractères spécifiques de ce courant sont la primauté de l’ornement et l’introduction en France du répertoire mythologique, souvent utilisé au profit de l’apologie royale. C’est un art raffiné et complexe, parfois érotique, où se mêlent les différentes techniques.
a) La galerie François Ier
L’aile de la galerie François Ier, bâtie en 1528, se développe sur trois niveaux.
Au rez-de-chaussée se trouvait l’appartement des Bains, consacré aux soins et aux plaisirs hédonistes du corps. François Ier avait fait construire, dans la tradition des thermes romains, un ensemble de sept salles (bains avec étuve, pièce abritant une baignoire, salle avec un bassin au centre entourée de chambres de repos). Dans ces lieux étaient exposés des tableaux de chevalet de Léonard de Vinci (La Joconde et la Vierge au rocher), de Raphaël ou encore d’Andrea del Sarto. Cet appartement des Bains permettait la satisfaction des sens, le développement du goût et la jouissance du raffinement esthétique.
Au troisième niveau, se trouvait la bibliothèque de François Ier, dont les ouvrages permettaient d’embrasser toutes les connaissances de l’époque. C’est Guillaume Budé, célèbre traducteur des textes anciens qui gérait les collections.
La galerie François Ier se situe au premier étage et relie les appartements royaux à la chapelle de la Trinité . Elle magnifie le pouvoir royal, mais aussi le cheminement du monde matériel (la chambre du Roi) vers le monde spirituel (la chapelle).
La décoration de la galerie (1533-1539) fut confiée à une équipe d’artistes dirigée par Rosso. Elle est particulièrement caractéristique de la première Ecole de Fontainebleau. Dans ses compositions complexes, souvent dramatiques et tendues, transparaît l’influence de Michel-Ange. Il faut noter que deux peintures de cette galerie ne sont pas de Rosso : Danaé est due à Primatice et La Nymphe de Fontainebleau est due à Alaux (XIXème siècle). La galerie est composée de sept travées comportant une imbrication de techniques variées : des lambris en noyer sculpté, œuvre de Scibec de Carpi, qui courent tout le long de la partie inférieure ; et au-dessus prennent place des peintures à fresque, encadrées de sculptures de stucs (mélange de poudre de marbre et de plâtre). Le choix de ces matériaux, associés en un ensemble décoratif cohérent, en fait une œuvre extrêmement novatrice dans les années 1530.
Le programme iconographique se lit d’est en ouest, c’est à dire de la chambre du roi vers la chapelle . La première partie s’inspire largement des mythes et récits antiques afin d’évoquer la fatalité de la guerre, le poids du destin, le vieillissement, le malheur et la mort. La deuxième partie, côté chapelle, valorise plutôt la monarchie et le roi.
Ce cycle d’une grande complexité a sans aucun doute été imaginé par un lettré nourri des auteurs de l’Antiquité et d’ouvrages emblématiques. Parmi les sources littéraires, certains reconnaissent Ovide (43 av.J-C. –17 ou 18 apr. J-C. ).
Programme iconographique de la galerie François Ier
Lecture et interprétation de quelques fresques
L’interprétation reste encore difficile en l’absence de textes d’archives consignant le programme iconographique. Le décor se réfère en général à la personne du roi et à la culture gréco-latine. Toutefois il existe un certain consensus autour des fresques suivantes :
Éducation d’Achille. Le Centaure Chiron fait l’éducation du jeune Achille : escrime, natation, équitation, maniement de la lance, musique, chasse. C’est un témoignage de la meilleure éducation pour un homme de la Renaissance, et d’un prince en particulier. En écho, on peut se référer à Baldassare Castiglione dans Le Livre du Courtisan ou à Rabelais dans Pantagruel qui décrivent l’éducation très complète que doit recevoir un « humaniste ».
Jeunesse perdue. D’après la fable de Nicandre de Colophon ( grec, IIe siècle av. J.-C.) : les hommes avaient reçu de Jupiter la jeunesse perpétuelle mais, paresseux, ils la firent porter par un âne. Celui-ci voulant boire, un serpent ne lui en accorda le droit qu’en échange de la jeunesse perpétuelle. Depuis les serpents changent de peau chaque année et les hommes vieillissent. Au premier plan, un groupe illustre l’état de jeunesse, au centre le serpent s’apprête à ravir la jeunesse montée sur un âne ; à droite, un groupe de vieillards illustre la vieillesse.
Le Naufrage. Nauplius et les siens tuent ceux qui cherchent à atteindre le rivage. Nauplius voulait se venger de ses compatriotes, et notamment d’Ulysse qui avait fait mettre à mort son fils, en allumant un fanal sur les récifs afin que les navires s’y brisent. Peut-être est-ce une allusion à la trahison du connétable de Bourbon, cousin du roi, qui passa au service de Charles Quint.
Mort d’Adonis. Les Amours et les Oréades s’apprêtent à étendre le corps d’Adonis, l’amant de Vénus, tué lors d’une chasse. On remarque auprès de lui Eros, la Fortune, et l’Adversité, soulignant peut-être l’idée que la volupté malhonnête est mortelle.
Danaé. Tableau du Primatice. Danaé, enfermée dans une tour, est « visitée » par Jupiter transformé en pluie d’or.
L’Incendie. Au premier plan, deux jeunes gens portent leurs vieux parents sur leur dos. A l’arrière plan, une ville en flammes brûle. Cette fresque est interprétée comme l’histoire de deux jumeaux qui sauvèrent leurs parents de l’incendie de Catane à la suite de l’éruption de l’Etna. Ce serait donc le symbole de la piété filiale, à mettre en parallèle avec le dévouement des deux fils du roi envoyés à Madrid en 1526 pour permettre la libération de leur père.
L’Éléphant royal. Sur une place apparaît un éléphant couvert d’un écu à la Salamandre sur le front et d’un caparaçon décoré de fleurs de lys et du F royal. Symbolisant la sagesse et la royauté, cet éléphant est un portrait allégorique de François Ier. Autour de lui on retrouve les trois fils de Saturne représentant les éléments : Jupiter avec le foudre (le feu), Neptune avec un trident (l’eau) et Pluton avec Cerbère (la terre). La cigogne est l’emblème de la piété filiale. L’homme roux et barbu en bas à gauche serait Rosso lui-même. Remarquons que les fresques encadrant le tableau principal mettent en scène l’enlèvement de mortelles (dont Europe) par des dieux métamorphosés en animaux, symbolisant la bestialité et tranchent avec le roi sage et vertueux.
L’Unité de l’Etat. François Ier, en empereur romain, tient une grenade symbolisant l’unité du pays en dépit des nombreuses graines qu’elle contient. Cette multitude s’exprime à travers les guerriers, dignitaires civils, bourgeois, paysans. Du fait des habillements, cette scène pourrait être une allusion à l’unification historique de la Gaule par César.
L’Ignorance chassée du temple. Une large partie de la fresque est occupée par des hommes et des femmes aux yeux bandés, aux corps contorsionnés, ou même prostrés. A droite, François Ier en imperator tenant une épée et un livre entre dans un temple de lumière. Il s’agit peut-être d’ allusion à la politique culturelle du roi (création du futur Collège de France, de l’Imprimerie royale, du mécénat en faveur des artistes).
Du magnifique décor créé pour François Ier à ce que nous voyons aujourd’hui, il existe de sensibles différences : le doublement de l’aile au Nord sous Louis XVI a occulté les fenêtres côté jardin de Diane (faux ciel bleu) et ne fait plus entrer la lumière que d’un côté. L’extrémité Ouest fut altérée par l’ouverture d’une grande porte sous Louis XIII ; le côté oriental fut complètement remodelé sous Louis XV en 1757. Les restaurations réalisées sous Louis-Philippe, reprises entre 1960 et 1965, ont modifié à deux reprises la hauteur du plafond sans retrouver la hauteur primitive. En dépit de ces altérations, la galerie François Ier reste un des plus extraordinaires décors Renaissance conservés en France.
b) La salle de Bal
Le fils et successeur de François Ier, le roi Henri II, confia à l’architecte Philibert Delorme, la tâche de transformer l’édifice en salle de bal.
La construction finale présente une salle fermée par de larges baies vitrées et un plafond en bois à caissons, inspiré de l’Italie. La cheminée monumentale et la tribune des musiciens sont aussi ajoutées au projet initial. Encadrant la cheminée, les satyres ont été moulés d’après les modèles antiques par Primatice. Fondus à la Révolution, ils furent remplacés par de nouvelles copies faites en 1966 grâce à de nouveaux moulages pris sur les statues antiques du musée du Capitole.
Primatice fut chargé de donner les dessins du décor à fresque. L’équipe de Nicolo dell’Abate se chargea de l’exécution. La comparaison avec la galerie de François Ier est particulièrement intéressante : si la même association de lambris, fresque et stuc est mise en œuvre, l’organisation de l’espace est très différente puisque la fresque court librement tout autour de la salle.
Les fresques, composées de scènes et de personnages mythologiques, très endommagées, furent largement repeintes au XIXe siècle par Jean Alaux. En 1963-1966 une nouvelle campagne de restauration a eu lieu.
Les chiffres et emblèmes d’Henri II se trouvent largement répandus dans le décor : armes de France et collier de l’Ordre de Saint-Michel ; chiffre H, parfois associé à une lettre qui peut-être lue comme C (Catherine de Médicis) ou D (Diane de Poitiers, la maîtresse du roi) ; le croissant de lune, la devise royale. Le croissant de lune était, bien avant Diane de Poitiers, un des emblèmes de la maison d’Angoulême et il fut le symbole personnel du Roi en liaison logique avec sa devise « Donec totum impleat orbem » [jusqu’à ce qu’il (le croissant) remplisse le cercle tout entier] ce qui marque son ambition de régner au-delà du royaume, et sans doute, affirme une prétention impériale.
Programme iconographique de la Salle de Bal (grands sujets entre les arcs, murs de la cheminée et mur d’entrée)
c) la chambre de la duchesse d’Etampes, caractéristique du maniérisme
Cet espace fut la chambre de Madame d’Etampes, favorite de François Ier avant d’être transformée en escalier en 1748-1749. Cette pièce est très proche de la chambre du Roi située dans le donjon.
Les décors de fresques et de stucs furent réalisés par Primatice entre 1541 et 1544 sur le thème de l’histoire d’Alexandre le Grand. On retrouve les détails de décor notés dans les salles précédentes tels que les cuirs découpés, les putti ou les guirlandes de fruits.
Mais du Primatice, il ne subsiste que les trois fresques à l’ouest. Elles sont encadrées de grandes figures féminines, en stuc, au canon allongé, très maniériste. En 1570, Nicolo dell’Abbate fut chargé d’exécuter de nouvelles fresques pour le mur sud obscurci à la suite de la construction de l’aile de la Belle Cheminée. Les autres compositions murales et celle du plafond datent du XIXe siècle.
Programme iconographique de la Chambre de la duchesse d’Etampes